La Route des Sagards !
Je mets des majuscules parce-qu’elle mérite bien ça…
L’idée a germé il y a plusieurs mois dans la tête de Sarah Vieuille. N’ayant pas réussi à nous caler cette aventure ensemble, nous nous apprêtions à nous lancer séparément :
- Sarah en septembre avec une amie, sur 3 jours.
- et moi la semaine du 7 au 11 août (décidé début août !) avec Marin Pogeux en “un minimum de temps”.
À la grande surprise de Marine qui me connait bien et qui sait que je ne suis pas fan de dormir sur un tas de cailloux, je lui ai proposé de partir à l’aventure sans rien réserver, de rouler jusqu’à n’en plus pouvoir et de s’adapter aux besoins avec les moyens du bord … les routes forestières vosgiennes ont bien des abris à disposition pour dormir quelques dizaines de minutes par-ci par-là, non … ?
Voilà donc dans quel état d’esprit j’étais
Loin de ce que j’avais déjà connu et vécu sur les routes du Tour de France lors de ces cinq dernières années, où nous endurions certes de longues journées sur le vélo (mais calibrées) et où nous bénéficions de dîners copieux et de nuits confortables.
Je voulais clairement sortir de ma zone de confort, être poussée dans mes retranchements, subir une difficulté outrancière et tenter de m’adapter… voir ce qui se passait… rhô et puis, ça n’allait peut-être pas être aussi dur que ça
Finalement, Sarah a pu se libérer pour transformer notre duo en trio.
À trois, avec des besoins de sommeil qui seront probablement différents et en décalage et une météo qui s’annonçait plus fraîche qu’espérée, nous avons eu un regain de sagesse et j’ai finalement réservé trois lits au refuge du Treh.
Nous voilà donc avec un objectif à atteindre à l’issue de notre première journée sur le vélo, le Markstein !
Mais comme rien n’est jamais acquis, notre Marine a malheureusement dû renoncer en dernière minute à prendre le départ de cette Route des Sagards, trop affaiblie par un état grippal
Et le cycliste affaibli a peu de chance de survivre au milieu des routes et sentiers empruntés par les anciens ouvriers des scieries vosgiennes …
“Les sagards, ces laborieux ouvriers des scieries du massif des Vosges, ont disparu de nos montagnes il y a quelques décennies. Mais les routes qu’ils arpentaient autrefois sont toujours là et, au fond de la forêt, résonnent encore leurs voix. À l’image de ces travailleurs infatigables, celui qui s’aventurera sur la route des Sagards devra rivaliser d’endurance et de force, de prudence et d’audace pour achever son œuvre et laisser, une bonne fois pour toutes, son empreinte sur la route.
Un parcours hors des routes ordinaires, une aventure au cœur de la forêt vosgienne.
Voilà ce qui nous attendait Sarah et moi, à 4h52 le matin du mercredi 9 août, au départ de la maison à 8 km et 230m de dénivelé de la trace… que nous attaquerons au Champ de Laxet, dans la nuit presque noire
Mercredi 9 août 2023
4h52
Après un petit-déjeuner copieux et un bon café, nous voilà parties, tous feux allumés, vers notre trace.
Notre départ se situe au Champ de Laxet après 8 km d’ascension par Berchigranges, une première côte gratos donc, pour s’échauffer… du hors piste dans la nuit noire.
C’est parti ! La Route des Sagards a démarré ! On nous avait prévenues, depuis le Champ de Laxet, les 100 premiers km seraient les plus faciles.
Effectivement, fastoche jusqu’à Épinal ! Les routes empruntées me sont connues, même si j’y circule habituellement en sens inverse. Ce sont certes de petites routes mais dont le revêtement est très correct. Profitons-en, il paraît que ça ne va pas durer…
La première côte répertoriée par mon Garmin arrive alors que nous sommes déjà grandement échauffées et qu’au moins deux de nos grands sujets de conversation ont déjà animés nos coups de pédales !
1/32 … voilà ce que m’annonce Garmin. Ah ouais quand-même !
Donc jusqu’à revenir au Champ de Laxet demain, quelque part dans la journée, nous aurons grimpé 32 côtes … 32 côtes répertoriées ! Sont évidemment passées sous silence toutes les côtelettes jugées insignifiantes, mais que nous grimperons quand-même
Parmi les cols les plus connus, le Col du Singe, le Haut du Tôt, le Col des Chevrères, le Col du Haag, le Petit Ballon, le Col du Wettstein, mais jamais de bas en haut par la route que l’on connait !
Naaan, ce serait trop fastoche, et mentalement trop confortable. Il faut passer par tous les murs du coin ! Sans faire le mur évidemment… car si on renonce à suivre la trace au caillou ou au trou près, on renonce à devenir des Sagardes
Alors on s’y colle !
Notre préparation organisationnelle fut très très légère, car finalement la décision de partir quand-même à l’aventure sans Marin Pogeux a été prise la veille du départ.
Mais, grâce au travail préalable de Marine, j’avais noté les points de ravito idéaux.
Eloyes au km 78 : premier arrêt ravito boulangerie.
Mais comme nous n’avions pas encore bien faim, après ces kilomètres fastoches, le sandwich fut stocké dans la sacoche. Ce fut une erreur de ne prendre qu’un sandwich… mais je ne le saurai que plus tard . Ce sandwich fut avalé à 11h à Sapois au km 110, fin bien assises sous un abri-bus, après la descente de ce qui devait être notre côte numérotée 4/32 …
La deuxième pause ravito boulangerie était programmée au Thillot, km 190. Soit “seulement” 80 km plus tard. Mais ce que nous n’avions pas concrètement pensé, c’est que nous aurions déjà 4500m de dénivelé positif ! Et nom de Zeus ! Qu’est-ce qu’on nous a fait grimper entre ces deux points de recharge calorique ! Pô pô pô pô pô …
Des murs qui s’enchaînent avec une indécence que je n’avais pas imaginé, sur des routes encombrées ou défoncées, sans rendement (donc reposantes ni en montée ni en descente). À tout-va, des 2 ou 3 km à 10% de moyenne où la pente atteignait régulièrement les 17% – 19% – 22% – et même jusqu’à 27% !!!
Bon, seule ma parole compte car mes deux mains étant nécessaires sur le cintre, j’ai zéro photo. Tout comme j’ai zéro photo des routes défoncées car impossible de lâcher le cintre . Bref, aucun répit. Entre les multiples “muroutes” (comprendre mur routes) forestières qui ont épuisé nos corps, le Pays des Mille Étangs a toutefois régalé nos esprits. Nous avançons car c’est bien pour ça que nous sommes là. Mais nous n’avançons pas bien vite
Nous en scions (pour ne pas dire que nous en chions) mais c’est bien pour ça que nous sommes là, non … ?
Je suis (déjà) en pilotage automatique. Je ne listerai pas ces innombrables côtes que vous aurez plaisir à trouver sur le site : http://routedessagards.fr/creez-votre-site-avec…/la-trace/
Je ne sais plus dans lequel de ces murs, entre Eloyes et Le Thillot, j’ai pris conscience de ça, mais “p*** je n’avais jamais rien fait d’aussi dur !”
Je pioche dans mes poches, une, deux, trois barres d’urgence… au bord de la fringale ! Je suis rincée ! Mais pas au point de pousser le vélo, ce qui me rassure un peu.
Nous arriverons à la boulangerie du Thillot au km 190 à 17h … le carburant du sandwich de 11h est cramé depuis un bon bout de temps !
Pourquoi ne pas avoir fait de pause ravito plus tôt, me direz-vous ? Parce-qu’il y avait à peu près RIEN sur notre trace . Et étant donné que nous avions déjà fait de nombreux rab ici ou là par manque de vigilance et bifurcations inopinées ratées, nous avions fait le choix de nous ravitailler à moins de 500m de la trace.
À ce moment-là, j’aurais dévoré tous les rayonnages ! Finalement, un petit pâté (pâté lorrain pour les non connaisseurs), deux wraps, une part de tarte aux pommes et trois énormes sablés aux amandes et raisins feront mon bonheur. Idem pour Sarah Vieuille. Comme quoi on était vraiment en phase
Soyons lucides, le troisième point de ravito, prévu à Kruth à condition d’y être avant 19h, est définitivement hors sujet. Donc nous stockons le petit pâté et deux sablés dans la sacoche, pour plus tard…
L’objectif est désormais d’arriver avant 23h au refuge du Treh, au sommet du Markstein (officiellement au km 265) où nous attend le gardien. Ça devrait le faire. Mais il ne faut pas s’amuser en route. Et il faudra encore trouver à manger, hors boulangeries ou supérettes qui seront fermées, car les réserves faîtes ne suffiront pas pour le dîner et le petit-déjeuner.
Nous visons Fellering, pied de la dernière ascension avant le refuge. Le ventre plein et les ascensions plus longues et moins raides nous donnent un regain d’énergie. Ça pédale mieux ! On reprend nos conversations.
Il est 20h au sommet du Bramont. Petite pause recharge montre GPS et recharge vestimentaire. Ça va cailler ! Nous voilà prêtes pour une longue descente vers Kruth puis Fellering, où nous misons sur un petit resto ou une pizza à emporter.
La descente sera moins longue qu’imaginée car nous bifurquons, pour la 127ème fois vers des petites routes interdites aux voitures puis de la piste cyclable. C’est pas encore là qu’on va réussir à hausser notre vitesse moyenne
Fellering. Km 245. Presque 21h.
Nous entrons dans ce petit resto et demandons le plat le plus rapide. Ce sera Burger-frites et eau pétillante ! Pour moi, Munster, lard, steak haché pour un burger gourmand
Recharge compteur GPS par la même occasion, histoire que tout le monde reparte gonflé à bloc.
Petit appel téléphonique au gardien, qui nous attend, pas de souci ! Bien, nous ne dormirons pas dehors cette nuit, même si nous arrivons hors délai… Reste l’ascension du Markstein par le Col du Haag (12 km à 7%), que nous ferons de nuit. L’ascension n°19/32 …
J’aime beaucoup rouler de nuit. Seule la vue est gâchée. Le reste semble galvanisé. Le revêtement semble parfait, dommage qu’on ne le voie pas nettement pour en profiter davantage.
Je nous pensais presque arrivées, c’était sans compter sur ma piètre connaissance géographique des lieux… Au sommet, restait 4 km pour rejoindre le Markstein, puis environ 2 km pour tomber sur le refuge… sauf que suite à notre préparation organisationnelle très légère, j’ai été négligente sur la situation exacte du refuge, me disant qu’on s’arrêterait pour regarder au moment venu et que de toute façon, ce serait bien indiqué. Eh ben non, malgré un arrêt GPS et un appel du gardien qui s’inquiétait, j’ai merdé, on a raté la bifurcation et encore un peu, on redescendait sur Kruth J’étais gelée !
Bref, nous avons fini par rejoindre le refuge après 30 minutes de jardinage, accueillies chaleureusement par le couple chargé de la surveillance.
275 km et près 6500m de dénivelé positif.
Une appréciable infusion partagée, quelques explications sur notre périple, de nombreux et sincères remerciements, une bonne douche et un lavage de dents indispensables, et nous éteignions la lumière à 0h50 … avec un réveil à 5h15.
J’ai des tensions musculaires, asymétriques à droite et à gauche, comme je n’ai jamais ressenti à vélo. J’ai le dos et l’entre-omoplates endoloris à force d’être crispée dans les descentes défoncées.
La courte nuit aurait cependant pu être super réparatrice si j’avais dormi … mais impossible de trouver le sommeil ! Si j’ai somnolé deux ou trois fois quelques secondes, c’est bien le maximum. Mais mon corps allongé a pu se refaire la cerise, tout n’était pas perdu
Jeudi 10 août 2023
5h15
Debout, nous faisons le point sur le séchage des vêtements, la recharge des multiples GPS et lumières et prenons notre petit-déjeuner sans lumière, n’ayant pas réussi ni l’une ni l’autre à mettre la main sur l’interrupteur en cuisine.
Pas grave, ça fait moins mal aux yeux. Petit pâté et sablé amandes et raisins !
6h10
C’est reparti. Il reste 145 km (un peu plus si on rate des bifurcations, ce qui sera encore le cas…) et environ 4000m de dénivelé positif. On a fait le plus dur, en terme de murs. Mais… Cette deuxième journée sera bien différente de la première, mais restera difficile.
Après une descente que l’on espérait plus longue, nous voilà reparties sur les traces des Sagards, en pleine forêt, sur des routes qui seront encore plus défoncées que la veille. De manière générale, des pourcentages moins forts mais des ascensions plus longues.
Le point commun avec la veille, c’est que le plat n’existe pas et que les montées s’empilent les unes derrières les autres sans aucune bienveillance
Tandis que les descentes me congèlent ! Je me demande comment je vais réussir à ne pas être malade après ça … (eh bien finalement, je ne le serai pas ).
9h30. Km 325.
Ravito à Munster. À priori le dernier. Nous prenons de quoi manger tout de suite, et de quoi casser une petite graine plus tard. Le petit pâté et le sablé nous ont bien calées, mine de rien.
Nous arrivons désormais sur des routes que nous connaissons. Enfin, c’est ce qu’on croit ! Mais à nouveau, nous avons droit à ces petites bifurcations sorties du chapeau qui nous emmènent dans des cols connus par des voies inconnues et toujours ascensionnelles !
J’ai fini par râler. Pendant tout un col. Ouais. Mais rien à voir avec la trace. Le Col du Wettstein qui aurait dû être très sympa à grimper, était criblé d’une couche d’une épaisseur et d’une grosseur de gravillons que je n’avais jamais vu sur une route ! Alors là, j’avoue, ça m’a bien gonflé ! Aucun rendement, pas moyen de se mettre en danseuse, bon ni pour les pneus ni pour le cadre, stress au milieu des voitures, … bref j’ai râlé toute la montée … sauf dans les virages qui étaient épargnés, pour des raisons de sécurité.
C’est drôle mais à partir de Plainfaing (km 365 à 13h45), alors que nous sommes si proches de chez nous, je trouve cette route des Sagards interminable !
La raison ? Parce-qu’on prend des “routes” défoncées qui nous font faire des détours de dingue (par rapport à l’itinéraire le plus court pour rentrer à la maison ).
Il fait plus chaud que la veille, ce qui va réveiller certaines gènes voire douleurs de pied chez Sarah et moi. Chacune son pied droit qui merdouille.
Les routes sont vraiment bien défoncées. J’ai mal aux poignets et au mains dans les descentes. Arrive la montée de Serichamp. Pour la deuxième fois, je m’entends penser que “p*** je n’avais jamais rien fait d’aussi dur !”.
Je parle du périple dans sa globalité. Et ça fait deux fois.
Donc je valide ce constat : la Route des Sagards est l’aventure à vélo la plus difficile que j’ai faite !
Pourtant là, je ne suis pas en fringale. Je suis juste crevée. J’en ai marre de grimper. Ce fut pour moi la dernière difficulté endurée. Une fois arrivée à Xonrupt, j’étais sur mes terres et je connaissais par cœur les dernières difficultés. Il en restait 3/32 ! De la rigolade !
C’est donc l’esprit léger que nous avons rejoint Gérardmer par le Poli et la route des 17 km, puis Liezey par les Xettes.
Des bonnes grimpettes mais qui, avec leur statut de dernières des 32, passent bien.
Après Liezey comme prévu, nous retrouvons mon papa et mon neveu sur le vélo, venus à notre rencontre (sans assistance ravito, on est pas des tricheuses ! ).
Le Champ de Laxet ! 17h35. Km 414. 10 277m de dénivelé positif
Nous y sommes ! Enfin ! En 36h15 !
Je ne réalise pas trop…
Photos souvenirs, évidemment !
Et descente vers la maison. La maison. 17h52. 430 km. 10 500m de dénivelé positif
Nous y sommes, enfin, 37h après notre départ.
La bière et le gâteau encore tiède de ma maman, dégustés en terrasse au milieu de mes proches et en compagnie de mon acolyte de dingue, furent appréciés à leur juste valeur.
Je voulais de l’inconfort, j’en ai eu !
Je voulais une difficulté durable et dérangeante, je l’ai eue !
Je voulais de l’incertitude, j’en ai eue !
Je voulais une aventure, rude, mythique et mémorable, je l’ai eue !
Nous sommes les premières femmes Sagardes à vélo !
Alors merci Simon Remy d’être à l’origine de cette énormissime trace, merci à Sarah d’être toujours partante pour les pires trucs, et merci papa maman pour les encouragements et le plein d’énergie avant et après
3 réponses sur « Aline et Sarah, premières Sagardes »
Magnifique! Bravo
Merci !
Merci pour ce partage et ce parcours hors norme!! Du gros boulot, respect 🙏