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Les finisseurs !

Ce soir je serai un sagard !

Récit de Vincent LOUIS, sagard en 25 h 29 min, le 20 août 2023

Les sagards, ces laborieux ouvriers des scieries du massif des Vosges, ont disparu de nos montagnes il y a quelques décennies. Mais les routes qu’ils arpentaient autrefois sont toujours là et, au fond de la forêt, résonnent encore leurs voix. À l’image de ces travailleurs infatigables, celui qui s’aventurera sur la route des Sagards devra rivaliser d’endurance et de force, de prudence et d’audace pour achever son œuvre et laisser, une bonne fois pour toutes, son empreinte sur la route.
Un parcours hors des routes ordinaires, une aventure au cœur de la forêt vosgienne.
98 % route / 2 % gravel

La présentation donne le ton, ca sent le sapin cette affaire, et ça ça me plaît bien. Vadrouiller en vélo, parcourir les cols de mon enfance et plus, découvrir les routes cachées de mes forêts tant aimées sont autant de choses qui me motivent. Elles donnent en fait un prétexte à une sortie folle, qui va m’obliger à sortir de ma zone de confort et à repousser mes propres limites.

Ma sortie la plus longue je m’en souviens bien. C’était un direct Strasbourg-Nancy par le canal de la Marne-au-Rhin, 175 km qui avait fini au coeur d’une fête foraine de village, en fringale devant le stand de sucreries.

Aujourd’hui si ces mauvais souvenirs sont derrière, cette nouvelle aventure qui s’offre à moi m’effraie pour d’autres raisons : l’inconnue de la distance, de la réaction de mon corps vis-à-vis de l’effort et du temps à passer sur le vélo, le fait de rouler de nuit, l’alimentation et l’hydratation, la météo instable des dernières semaines.

Je décide de partir ce vendredi 18 août à la première heure. Il est 00h46 et je pars avec l’intention de rentrer me coucher dans la nuit prochaine. Je ne sais pas ce que je vaux sur une distance aussi longue, mais au fond de moi je sais que j’en suis capable et comme d’habitude, je n’ai pas envie de m’attarder, même si cette affaire en vaut la peine.

Au départ d’Epinal, la gueule dans le ***, il ne fait pas si froid que cela. Si les 20 premiers kilomètres me servent de réveil, les 20% de la montée des Cuveaux me donnent le premier coup de chaud de la journée. Et pourtant il fait encore nuit. Les températures sont inversées, il fait lourd sur les hauts et frais dans les fonds de vallées. Si les prochains cols me font regretter la sous-couche, les descentes quant à elles me donnent raison de m’être habillé chaudement pour le départ.

J’arrive à Saulxures à 5h00, mon village d’enfance. Les premières gourdes ont été rechargées, la tête et les jambes bien réveillées, le rythme est donné. J’avance en profitant des routes forestières que je connais par coeur, ou presque. Le col de la Sure après Morbieux est en effet une première découverte. Chevreuils, renards et blaireaux m’observent avancer lentement alors que le soleil se lève. Je serai en Haute Saône au levé du jour, avec déjà 100 bornes dans les pattes.

A Servance, il est encore trop tôt pour croissant trouver. Mes sacoches pleines de victuailles font l’affaire, je continue en autonomie vers les profondes vallées de Miellin. Là les scieries et les cadres des hauts fers résonnent encore. Si le contexte est d’une profonde authenticité, et d’un charme qui sent la résine, les pentes des 3 montées qui suivent me scient les jambes. C’est la première fois depuis le début de la virée que j’en bave. Et sur ces routes où les récents abbatages et orages rendent le revêtement particulièrement scabreux mon accolyte à 2 roues souffre lui aussi

Une pause s’impose. A Saint-Maurice-sur-Moselle la première boulangerie m’offre l’occasion de me faire péter la panse -pardon- de me ravitailler. A Bussang le soleil commence à chauffer, mais après m’être refait une santée, il est temps de tourner la page. Je grimpe le col du Page à un rythme régulier, idem pour la montée de la Chaume du Grand Ventron.

A Bramont c’est Pierre qui me rejoint. Le voilà qui arrive, la pédale agitée, entre 2 motos. Parés pour la bascule, nous partons vers l’Alsace et profitons de la descente pour partager mes premières rencontres sauvages (je parle aussi bien du gibier que des cols sanglants haut-saônois). Le fond de vallée de Kruth à Saint Amarin est plat, mais autour de nous les bosses s’élèvent et celle que nous entamons est abrupte. La montée jusqu’à Geishouse annonce les prochaines heures. Des pentes continues et longues en plein soleil, mais des paysages de toute beauté.

Le temps passe et nous nous arrivons à Munster. J’ai l’impression que nous n’avons pas avancé : il est presque 18h et j’ai seulement passé les 250km alors que j’en avais 180 quand nous nous sommes retrouvés à Bramont. Pierre décide finalement de me laisser après une énième bifurcation surprise vers une rampe peu accueillante au dessus de Stosswihr. Je ne tarde pas et me remet à scier le rythme régulier, sur les pentes du Wettstein. Je me suis donné l’objectif de passer le défilé de Straiture avant la tombée de la nuit. Cette vallée encaissée ne me donne pas envie d’y rester la nuit, et le passage à Gérardmer représente pour moi presque une ligne d’arrivée car je sais que la suite roulera.

Avant cela, il me faut encore rejoindre le Bonhomme. Quelques coups de scie aux Hautes Huttes, et sur la route du Lac Blanc pour redonner du rythme, me permettent d’atteindre la descente du prés de Rave alors que le jour se couche. J’ai en tête d’être à Ban sur Meurthe dans la prochaine demi heure.

Mais c’est ici que le plus dur commence. Les kilomètres passent et les vallons défilent. La trace monte, redescend, on pense en finir et à chaque fois un coup de cul revient, quand ce n’est un chemin accidenté qui nous ralentit. A proximité de Plainfaing, le mental est au plus bas, comme le soleil et comme mon pneu. Je viens de crever. Je répare, allume mes lampes et continue, tête baissée, résigné, sur les routes de Ban sur Meurthe, sur toute les routes de Ban sur Meurthe même. Car ici la trace fait les 4 coins de la vallée. Quand on pense arriver en haut, la trace redescend, puis remonte, puis croise la vallée, pui remonte, puis remonte, pour enfin nous rapprocher de Xonrupt.

Il fait nuit et une bosse me sépare de Gérardmer. Le mental fera tout dans cette montée, pas de sentiment, mais des jambes qui veulent en finir. La pente est régulière mais longue, et lorsque les rues du centre ville gérômois s’offrent à moi, c’est mes lampes qui me lâchent. La montée de Liézey se fait au flash et la suite n’est que sciage sur des profils roulants. Je ne traîne pas, il est 00h00 et j’ai hâte d’en finir.

Mes batteries de lampes rechargées, je descends vers Saint-Jean-du-Marché quand un flash clignote au loin. C’est Romain, il m’attend en vélo pour m’accompagner jusqu’à Epinal. Je ne sais pas comment il m’a retrouvé là, mais la surprise et bonne et la fin passe de ce fait rapidement, et de bonne manière. Je suis détendu, les muscles répondent encore bien, même si les genoux commencent un peu à fatiguer.

Il est 2h15, il fait aussi bon qu’hier matin à la même heure, et me revoilà à Epinal.

J’ai parcouru 411km, grimpé 9 683m, j’ai scié pendant 25h29 et ce soir je suis un sagard.

Merci à Simon Remy pour ce beau défi qu’est La Route des Sagards

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Les finisseurs !

[ Nous sommes de Ceux ]

par Benoît Gandolfi, finisseur de le Route des Sagards en 23 h 05 min.

« Nous sommes de ceux qui ne renoncent pas.
Nous sommes de ceux qui établissent des stratégies dans l’obscurité.
Pour reprendre la main, jouer selon leur propres règles et forcer le destin.
Nous sommes de ceux qui ont en assez de leur propre férocité.
Nous sommes de ceux qui veulent à tout prix tabasser leur part d’ombre. »

Fauve

Ces quelques vers piochés dans une chanson de Fauve, reflètent assez bien mon état d’esprit à l’aube d’attaquer pour la seconde fois la Route des Sagards.

Vous savez, cette trace d’environ 400 bornes et 10000 mètres de dénivelé positif qui sillonne le massif des Vosges, et qui, en novembre dernier avait eu le dernier mot.

De l’eau a coulé sous les ponts depuis, le corps et l’esprit ont encaissé des épreuves. Les stigmates du 24h sont toujours présents, ses enseignements également.

Nous reformons un trio original pour bourlinguer jusqu’à l’ivresse.

Vincent et Stéphane, les deux forts gaillards de Sapois. Et moi, le petit gars de Liezey. Dans ce genre d’épopée, pas besoin de dresser le pedigree de chacun. On fait table rase du passé. Chacun vient avec ses armes. Chacun vient avec sa cause. Chacun sait pourquoi il est là.

La suite de l’aventure, c’est un enchaînement de pentes, un enchaînement de surfaces, un enchaînement d’émotions. Car avant toute chose, rendons hommage au créateur. Il faut forcément être habité d’un esprit marginal et destructeur pour être à l’origine de cette Route. Simon Remy doit certainement faire partie de ceux-ci. Ces marginaux qui s’intéressent davantage au voyage plutôt qu’à la destination.

Ceux qui préfèrent le voyage en train plutôt que l’avion.

Car il faut se l’avouer, rien n’est logique dans cette Route. Dès que le tracé nous déroule un beau tapis propre, c’est le moment de bifurquer. Chercher le grain rugueux, le nid de poule, l’avancement minimum.

Photo : Anthony Pouille.

Et c’est certainement pour toutes ces raisons que nous sommes partis de Sapois ce mercredi 16 Août à 06h07 du matin. Pour se confronter à la difficulté, à l’âpreté de l’homme en mouvement.

Et comme rien ne peut être linéaire dans ce genre d’avancement, nous nous sommes vite retrouvés seuls. Une crevaison, des crampes précoces, une chaleur de plomb. L’aventure collective du début cède vite la place à une aventure individuelle intérieure.

Désormais un seul mot d’ordre : Avancer. Grappiller les kilomètres. Surfer sur les bonnes sensations avant le coup de bambou qui te fera ramper dans le fossé.

De fil en aiguille, de cols en montées, me voilà seul dans la nuit. Déjà 280 kilomètres au compteur. Quasiment 8000 de positif. Mon rythme de forçat m’a empêché de voir les kilomètres défiler. Mais maintenant nous y sommes. La nuit pointe le bout de son nez. La concentration doit forcément se faire plus marquante. Le sauvage reprend ses droits. Les bêtes sortent du bois. Je m’amuse à les appeler. Elles viennent à moi. La beauté froide de la biche dans la montée du Vic, le regard glaçant du renard au dessus du Poli, l’envolée lyrique de la hulotte aux abords du Hautré. Je suis dans mon élément. La voûte céleste sublime le tout pour faire de cette nuit un tableau.

Une pause salvatrice kilomètre 292 me permet d’entrer dans la dernière ligne droite frais et ragaillardi. Je suis désormais sur le chemin du retour. Chaque aventure se joue sur un coup de dés. Une faute d’inattention, peut être même les prémices d’un endormissement et me voilà, sur ma bécane, en train d’heurter à pleine vitesse un trou béant dans la chaussée. Les deux chambres à air explosent en même temps. Je tiens comme par miracle sur ma monture, équilibriste noctambule.

La réparation s’opère dans la difficulté et les minutes s’écoulent.

Derrière moi, je vois le halo d’une frontale. Stéphane est là, fonçant à vive allure, évitant sans encombre le trou dans lequel je viens de me fracasser. Il poursuit sa route comme j’ai poursuivi la mienne bien plus tôt dans la journée.

Ma bicyclette est à nouveau en état de marche, je remonte dessus. Sonné. Comme un boxeur dans les cordes, le regard hagard.

La Route est encore longue et il faudra bien de la vigilance pour arriver à bon port.

L’esprit a cette merveilleuse capacité de se remobiliser quand il le faut.

J’enchaîne à nouveau les kilomètres. Je suis dans la plaine, grisé par la vitesse. Je passe Epinal, ma ville natale, sans me retourner.

C’est dans le Fossard que la pente s’élève à nouveau pour une dernière fois. Et comme dans les meilleurs contes pour enfants, vous savez où tout se termine toujours très bien, je retrouve Stephane dans l’une des dernières montées.

Photo : Anthony Pouille.

Cela fait des heures que nous pédalons et nous voilà au même point. Un dernier effort en commun, une dernière descente à pleine vitesse et nous devinons enfin le village de Sapois.

Nous sommes jeudi 17 Août. Il est 5h12 du matin.

Nous sommes de ceux qui en avons scié.

Nous sommes de ceux pour qui la Route des Sagards a été une épopée de 23 heures et 05 minutes.

PS : Vincent terminera quant à lui La Route des Sagards en 28h55 au terme d’une lutte acharnée. Évidemment.

Benoit Gandolfi (publié initialement sur ses réseaux) https://www.facebook.com/benoit.gandolfi