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[ Nous sommes de Ceux ] « Nous sommes de ceux qui ne renoncent pas. Nous sommes de ceux qui Ă©tablissent des stratĂ©gies dans lâobscuritĂ©. Pour reprendre la main, jouer selon leur propres rĂšgles et forcer le destin. Nous sommes de ceux qui ont en assez de leur propre fĂ©rocitĂ©. Nous sommes de ceux qui veulent Ă tout prix tabasser leur part dâombre. » Ces quelques vers piochĂ©s dans une chanson de Fauve, reflĂštent assez bien mon Ă©tat dâesprit Ă lâaube dâattaquer pour la seconde fois la Route des Sagards. Vous savez, cette trace dâenviron 400 bornes et 10000 mĂštres de dĂ©nivelĂ© positif qui sillonne le massif des Vosges, et qui, en novembre dernier avait eu le dernier mot. De lâeau a coulĂ© sous les ponts depuis, le corps et lâesprit ont encaissĂ© des Ă©preuves. Les stigmates du 24h sont toujours prĂ©sents, ses enseignements Ă©galement. Nous reformons un trio original pour bourlinguer jusquâĂ lâivresse. Vincent et StĂ©phane, les deux forts gaillards de Sapois. Et moi, le petit gars de Liezey. Dans ce genre dâĂ©popĂ©e, pas besoin de dresser le pedigree de chacun. On fait table rase du passĂ©. Chacun vient avec ses armes. Chacun vient avec sa cause. Chacun sait pourquoi il est lĂ . La suite de lâaventure, câest un enchaĂźnement de pentes, un enchaĂźnement de surfaces, un enchaĂźnement dâĂ©motion. Car avant toute chose, rendant hommage au crĂ©ateur. Il faut forcĂ©ment ĂȘtre habitĂ© dâun esprit marginal et destructeur pour ĂȘtre Ă lâorigine de cette Route. Simon RĂ©my doit certainement faire partie de ceux ci. Ces marginaux qui sâintĂ©ressent davantage au voyage plutĂŽt quâĂ la destination. Ceux qui prĂ©fĂšrent le voyage en train plutĂŽt quâĂ lâavion. Car il faut se lâavouer, rien nâest logique dans cette Route. DĂšs que le tracĂ© nous dĂ©roule un beau tapis propre, câest le moment de bifurquer. Chercher le grain rugueux, le nid de poule, lâavancement minimum. Et câest certainement pour toutes ces raisons que nous sommes partis de Sapois ce mercredi 16 AoĂ»t Ă 06h07 du matin. Pour se confronter Ă la difficultĂ©, Ă lâĂąpretĂ© de lâhomme en mouvement. Et comme rien ne peut ĂȘtre linĂ©aire dans ce genre dâavancement, nous nous sommes vite retrouvĂ©s seuls. Une crevaison, des crampes prĂ©coces, une chaleur de plomb. Lâaventure collective du dĂ©but cĂšde vite la place Ă une aventure individuelle intĂ©rieure. DĂ©sormais un seul mot dâordre : Avancer. Grappiller les kilomĂštres. Surfer sur les bonnes sensations avant le coup de bambou qui te fera ramper dans le fossĂ©. De fil en aiguille, de cols en montĂ©es, me voilĂ seul dans la nuit. DĂ©jĂ 280 kilomĂštres au compteur. Quasiment 8000 de positif. Mon rythme de forçat mâa empĂȘchĂ© de voir les kilomĂštres dĂ©filer. Mais maintenant nous y sommes. La nuit pointe le bout de son nez. La concentration doit forcĂ©ment se faire plus marquante. Le sauvage reprend ses droits. Les bĂȘtes sortent du bois. Je mâamuse Ă les appeler. Elles viennent Ă moi. La beautĂ© froide de la biche dans la montĂ©e du Vic, le regard glaçant du renard au dessus du Poli, lâenvolĂ©e lyrique de la hulotte aux abords du HautrĂ©. Je suis dans mon Ă©lĂ©ment. La voĂ»te cĂ©leste sublime le tout pour faire de cette nuit un tableau. Une pause salvatrice kilomĂštre 292 me permet dâentrer dans la derniĂšre ligne droite frais et ragaillardi. Je suis dĂ©sormais sur le chemin du retour. Chaque aventure se joue sur un coup dĂ©s. Une faute dâinattention, peut ĂȘtre mĂȘme les prĂ©mices dâun endormissement et me voilĂ , sur ma bĂ©cane, en train dâheurter Ă pleine vitesse un trou bĂ©ant dans la chaussĂ©e. Les deux chambres Ă air explosent en mĂȘme temps. Je tiens comme par miracle sur ma monture, Ă©quilibriste noctambule. La rĂ©paration sâopĂšre dans la difficultĂ© et les minutes sâĂ©coulent. DerriĂšre moi, je vois le halo dâune frontale. StĂ©phane est lĂ , fonçant Ă vive allure, Ă©vitant sans encombre le trou dans lequel je viens de me fracasser. Il poursuit sa route comme jâai poursuivi la mienne bien plus tĂŽt dans la journĂ©e. Ma bicyclette est Ă nouveau en Ă©tat de marche, je remonte dessus. SonnĂ©. Comme un boxeur dans les cordes, le regard hagard. La Route est encore longue et il faudra bien de la vigilance pour arriver Ă bon port. Lâesprit Ă cette merveilleuse capacitĂ© de se remobiliser quand il le faut. JâenchaĂźne Ă nouveau les kilomĂštres. Je suis dans la plaine, grisĂ© par la vitesse. Je passe Epinal, ma ville natale, sans me retourner. Câest dans le Fossard que la pente sâĂ©lĂšve Ă nouveau pour une derniĂšre fois. Et comme dans les meilleurs contes pour enfants, vous savez oĂč tout se termine toujours trĂšs bien, je retrouve Stephane dans lâune des derniĂšres montĂ©es. Cela fait des heures que nous pĂ©dalons et nous en voilĂ au mĂȘme point. Un dernier effort en commun, une derniĂšre descente Ă pleine vitesse et nous devinons enfin le village de Sapois. Nous sommes jeudi 17 AoĂ»t. Il est 5h12 du matin. Nous sommes de ceux qui en avons sciĂ©s. Nous sommes de ceux pour qui la Route des Sagards a Ă©tĂ© une Ă©popĂ©e de 23 heures et 05 minutes.